samedi 22 septembre 2012

Quelques paradoxes avec les TICE

Quelques réflexions avec un angle d'attaque un peu différent de mon précédent post à l'aune de divers échanges dont des discussions croisées avec des représentants de collectivités locales et des responsables de l’Éducation...

Nous parlions  volontiers de « fracture numérique ». Celui qui pouvait s'équiper et celui qui ne pouvait pas...
Le rapport du Haut Comité de l'Education nous disait déjà en 2010 que  «  77 % des 12-17 ans se connectent tous les jours à Internet et 90 % d’entre eux se déclarent « compétents » en matière d’usage des technologies de l’information ».
Avec la diffusion forte des smartphones et autres tablettes, nul doute que la tendance se sera poursuivie à la hausse.Dans certains départements y compris ruraux, on sait que près de 90 % des familles disposent d'un accès à l'Internet.
Nombre de jeunes passent plus de temps sur le net que devant la télévision et l'on observe même le développement d'une tendance mêlant télévision et Internet (notamment via les réseaux sociaux).

Premier paradoxe : nous nous inquiétons peu de la fracture verticale qui fait que certains restent encore coupés du net. Rares sont ceux qui le font avec une volonté réelle (comme ailleurs d'autres font le choix de ne pas avoir la télévision). Ainsi, lorsqu'un professeur prescrit un travail à ses élèves via Internet, il peut contribuer à accroître les écarts s'il ne s'assure pas au départ de l'accès de tous ses élèves au net.

Deuxième paradoxe : nous voulons que nos élèves accèdent à l'Internet mais nous considérons souvent que l'usage qu'ils en font principalement n'est ni vertueux ni pertinent. En réalité, nous n'avons guère confiance dans ce média et les contenus qu'il propose... puissions-nous exercer le même regard critique vis à vis des manuels papier et de leur contenu ! Au demeurant, cette posture d'une acceptation « filtrée » ou « sélective » peut nous priver souvent du moteur formidable qu'il y aurait à relier l'école au Monde... non pas que ce qui viendrait de la vie en mouvement du dehors serait meilleur... mais justement parce qu'il serait possible d'ouvrir de nouvelles fenêtres et surtout de s'inscrire dans une logique d'intelligence partagée.

Autre paradoxe, l'examen des ressources à disposition sur le net, qu'elles soient éducatives ou culturelles (portées par des établissements culturels par exemple) nous montre que l'offre est déjà riche mais que le milieu scolaire les utilise modestement. Il y a certainement un travail à conduire pour mieux articuler le repérage de ces ressources et leur utilisation aux programmes ou aux intentions pédagogiques.

Le quatrième paradoxe tient dans ce que d'aucuns décrivent comme un sous équipement matériel d'une part (en particulier dans le premier degré) , un différentiel d'investissement fort et la sous utilisation de fait de l'existant.
Magnifiques tableaux numériques dormant sous la poussière, salles informatiques qui deviennent des salles de réunion... nous en connaissons tous...
Les espaces numériques de travail, ne sont pas toujours utilisés à bon escient et des établissements de même envergure et moyens peuvent très bien l'un avoir un usage dynamique et quotidien de ce support tandis que l'autre le réservera à la publication épisodique de quelques notes.

On sait encore qu'il ne suffit pas d'équiper chaque élève pour garantir un usage effectif du numérique au service des apprentissages. Sont-elles de simples anecdotes ? On entend la description de revente de portables acquis par les collectivités sur « E-Bay » ou le développement des pratiques ludiques des élèves au déficit du travail scolaire... et voici les machines qui deviennent obstacle et non une aide aux apprentissages en particulier pour le travail personnel ! Sauf... une nouvelle fois pour les familles culturellement favorisées …

Ajoutons dans la collection de paradoxes, celui des compétences des enseignants : on regrette là le manque de « référent » ou de « personne ressource » pour partager ses compétences avec ses collègues... mais on se rend compte qu'une « spécialisation » des uns diminue souvent encore l'engagement des autres... moment terrible où le départ du « passionné » aboutit à l'abandon des machines.

Lorsque les infrastructures sont là, la technique est aussi fragile qu'une mise à jour... le diable se loge dans les détails et de magnifiques équipements peuvent être rejetés dès lors que « ça coince ». 
On a mis beaucoup d'argent dans les équipements, on pense moins volontiers à la maintenance et au renouvellement.

Le système éducatif a posé depuis quelques années des injonctions : le socle commun et son pilier dédié, les certifications que sont le B2i ou le C2i et pourtant tout fonctionne comme si la pratique numérique reposait encore sur le seul bon vouloir individuel du professeur souvent encore isolé dans son école ou son établissement...
L'usage au quotidien du numérique ne peut s'imaginer sans questionner les pratiques pédagogiques.
Si le TNI peut parfois favoriser des pratiques magistrales, la classe numérique et le tableau numérique, tout comme les objets à venir (tablettes, écrans tactiles etc.) doivent se penser dans une approche qui intègre les approches différenciées et le détour pédagogique dès l'amont.

C'est peut-être ce qui fait obstacle au développement réel du numérique, plus subversif qu'il n'y parait au premier abord ! 

Cela suppose que l'éditeur de ressources ne se contente pas de proposer de l'exercice en ligne ou de décliner ses manuels sans autoriser une action du professionnel, cela suppose des applications capables de garder mémoire de l'activité de l'élève, cela suppose que l'on accepte une réelle mise en communication...
Mais il est vrai que l'éditeur mû surtout par l'idée de vendre ne mesure pas encore des attentes … qui restent pour la plupart à inventer.
Utiliser le numérique à l'école ne peut se faire en le vivant comme un simple plus, un accessoire, une plus-value possible une fois seulement « le reste » accompli, mais bien en s'interrogeant sur la pertinence de l'outil et en quoi il modifie les façons de penser...

Et c'est encore ce paradoxe ou cette difficulté, de la nécessité de poser des principes et une stratégie, alors même que le numérique est en quelque sorte un objet instable, évolutif et dont les traductions technologiques d'aujourd'hui pourraient sembler obsolètes demain matin.
Nous sommes au cœur d'une révolution où il est difficile de théoriser parce que les repères bougent au fil de l'eau.
Le bateau peut tenir si nous veillons à penser « sens » et « valeurs ».
Cela passe probablement par la définition de projets partagés, réalistes, définissant le rôle de chacun.
Il faut tout en acceptant que les choses bougent et vont bouger, rechercher la cohésion : associer élus, parents, décideurs, éditeurs, enseignants et élèves autour de la question du numérique pour en faire une question culturelle et citoyenne...
à suivre !

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