mercredi 17 avril 2013

Du socle ! en avant toute !

L'époque médiatique favorise tous les malentendus : l'école a toujours été l'enjeu de débats qui souvent la dépassent et où se mêlent un grand nombre de présupposés ou de représentations. 

La mise en avant de la réforme des rythmes a probablement fait passer au second plan un certain nombre de réformes importantes : la formation des maîtres, la réaffirmation des missions de l'école maternelle, l'importance accordée à la pédagogie, la définition de nouveaux programmes mais également l'élargissement du socle commun de connaissances et de compétences à la culture. 

Sur la question des rythmes, contrairement aux assertions parfois formulées, il est frappant d'observer deux choses :
1) Le souci partagé ou en tout cas l'affirmation publique de tous les partenaires (enseignants, collectivités locales, parents), de proposer des dispositifs pertinents et exigeants. 
C'est cette exigence qui a été présentée le plus souvent comme l'argument clé en faveur d'un report de la réforme à la rentrée de septembre 2014.
Derrière cette exigence, outre la question des rythmes en tant que telle plusieurs questions ont été posées : 
- qu'est-ce qui différencie une activité scolaire notamment à vocation culturelle et sportive d'une activité "péri-scolaire" ou "extra-scolaire"? 
- comment articuler le temps scolaire au temps péri-scolaire ? 
- comment penser le rythme de l'enfant dans sa globalité, c'est à dire en intégrant l'idée d'une nécessaire stratégie partagée dans la gestion du temps de l'élève (type d'activités, alternance des formes de travail, durée et organisation du temps de la séance...). 
2) En particulier avec la mise en place en cours ou à venir des projets éducatifs territoriaux, le fait que pour la première fois depuis longtemps les différents partenaires sont invités à se retrouver ensemble autour d'une même table, tout en restant chacun dans son champ professionnel, pour oser se parler de ce qui est fait dans deux domaines proches... 
Rappelons qu'il existait déjà des  activités "péri-éducatives" mais qu'elles fonctionnaient dirons nous dans leur sphère propre sans avoir à s'articuler ou rendre compte particulièrement...
En incise, il faudra bien que tout le monde questionne aussi ces temps de garderie et de récréation où l'enfant confié aux "services généraux" vit tout de même des moments qui peuvent être très forts pour lui. 

Chacun conserve bien évidemment et c'est heureux,  la liberté de son point de vue, mais dans ce domaine comme dans d'autres, il importe de pouvoir dépasser une simple vision critique au sens négatif du terme pour s'inscrire dans une démarche active et au fond s'emparer de la réforme pour la faire réussir. 

Un des éléments à ne pas mésestimer, réside en la possibilité de proposer dans le péri-éducatif des temps culturels partagés qui fassent "patrimoine commun" pour tous les élèves, en particulier  les moins favorisés : on pensera à cette évidence qui reste toujours à défendre par exemple de la rencontre du livre, mais aussi par exemple du jeu en particulier dit "de Société" ou collectif si utile à l'apprentissage des règles et du vivre ensemble... 
Ce "patrimoine commun" qui doit être apporté par l'école mais que certains trouvent à la maison gagnerait à être prolongé et enrichi par le péri-éducatif. Son identification permettrait aux maîtres d'y puiser largement avec comme atout la possibilité de veiller à proposer un enseignement où la part d'implicites et d'allusions culturelles réservées aux "happy-few" serait limitée.
Avec l'idée également de pouvoir imaginer pour tout enfant fréquentant l'école de la maternelle à la fin du primaire... mais au collège ensuite, un véritable "parcours" culturel et sportif, parcours lui permettant de rencontrer ce qui lui permettrait de constituer son "patrimoine personnel et partagé"...
En cela, nous relions la réforme des rythmes scolaires à la question du socle commun des connaissances et de culture, question du socle qu'à l'instar de Claude Lelièvre nous ne voudrions pas voir éludée ou remisée au second plan. Elle nous semble devoir être au cœur de la refondation de l'école primaire et de la rénovation du collège.

Car poser la question du socle, ce n'est pas du "gadget", c'est encore moins, nous l'avons déjà dit, s'enfermer dans la vision d'un savoir minimal...
C'est plutôt poser la question ambitieuse du citoyen de demain, qui aura le droit, quel que soit son domaine d'exercice, d'être un citoyen éclairé, cultivé, faisant du sport pour son plaisir, capable de s'adapter aux évolutions technologiques et sociales, d'entrer en relation avec des univers autres que le sien... Il ne s'agit plus de dégager des élites pour prendre les commandes, il s'agit autant que faire se peut, que chacun puisse s'émanciper de son destin social, choisir et évoluer, prendre sa part à ce qu'Edgar Morin nomme la "démocratie cognitive" et nous ajouterons, participative...

Deux axes forts doivent être tenus :
- d'abord l'idée essentielle que très tôt il nous faut agir en priorité absolue en direction des plus faibles et cela sans vergogne ni retenue. 
Ces plus faibles sont ceux qui dans les évaluations nationales se retrouvaient dans le premier quartile avec moins de 33% de réussite. 
Il faut avoir la conviction chevillée au corps qu'une action concertée, ciblée, massive, active et régulière peut permettre de faire progresser ces élèves. 
A cet égard le dispositif "plus de maîtres que de classes" qui propose une approche novatrice, nous engage tous. 
Cela pose la question de la différenciation in situ, voire en amont des apprentissages. 
- ensuite l'idée bien précisée par Claude Lelièvre mais aussi à sa façon par Edgar Morin, qu'il s'agit avec le socle commun de nous inscrire dans une démarche : cette démarche tout en donnant les repères à nos élèves, ne doit pas nous enferrer dans une vision figée de la connaissance. Elle doit en particulier à l'école primaire où nous avons la chance d'avoir des maîtres polyvalents, nous inviter systématiquement à permettre de "faire du lien", d'éclairer, de chasser les implicites.

Faire du lien, aide à donner du sens aux apprentissages fondamentaux en montrant que la règle de grammaire s'applique aussi lorsqu'on rédige un résumé de sciences, mais c'est encore lorsqu'on construit la leçon de sciences, élaborer un lexique qui pourra venir enrichir la leçon de vocabulaire... et la réflexion sur la langue, c'est lorsqu'on lit un album de littérature de jeunesse, permettre à l'élève de décoder les allusions culturelles qu'il avait survolées sans les voir, c'est en lecture ou en résolution de problèmes travailler réellement la compréhension, la contextualisation, c'est à dire ne pas se contenter de contrôler si l'élève à compris le sens de ce qui lui était proposé mais lui enseigner comment comprendre ... ce qui est rarement fait. 
C'est également se donner la chance de considérer à leur juste valeur des compétences qui relèveront des différents domaines et donner la possibilité à chacun de s'y exercer : l'intellectuel s'enrichira d'une pratique manuelle, le "manuel" doit avoir la possibilité d'enrichir sa pratique par des apports culturels ou intellectuels... Cette affirmation qui semble banale, pose la question de l'égale dignité des rôles de chacun... et de chacune en veillant à dépasser tout présupposé y compris sexiste.
C'est sans s'enfermer dans une méthodologie artificielle, donner à nos élèves des outils méthodologiques (savoir-faire) pour résoudre les questions qui se posent à lui en proposant d'ailleurs au jeune élève de pouvoir s'appuyer sur des situations réelles... ce que d'aucuns appellent une "pédagogie du projet" où il ne s'agit pas tant de motiver l'élève que de l'aider à mettre du sens sur ce qu'il fait.

Cette vision suppose que chacun examine avec attention l'intérêt des différents domaines d'apprentissages et de ces piliers du socle et que nous les regardions non pas comme des piliers isolés mais comme des piliers inter-reliés...
Cela suppose aussi que nous bannissions ces pratiques d'évaluations destinées à séparer, sélectionner, exclure mais que nous nous trouvions convaincus de la nécessité de "fabriquer de la réussite", c'est à dire non pas mentir et flatter les élèves sur ce qu'ils sauraient faire, mais partir de ce qu'ils savent, les aider à le reconnaître, les inviter à essayer - et c'est le rôle de l'école que de permettre tous les essais en confiance, sans risquer de se faire mal ni physiquement, ni à l'estime de soi-  puis poser l'écart, leur montrer ce qui est attendu et trouver tous les chemins possibles pour y parvenir.
Ainsi chacun de nos élèves devrait-il pouvoir constituer son cahier des réussites ou son portefolio, il devrait même pour un certain nombre de compétences, être en mesure d'aller voir son maître et de lui dire "ça y est ! je pense que je sais le faire" et de trouver chez le maître un accueil positif et valorisant l'encourageant à persévérer. Oser conjuguer effort et plaisir ! S'émanciper grâce au savoureux savoir ! Grandir par la connaissance et pouvoir accéder progressivement à plus de responsabilités et de liberté.

Il faut souligner que ce changement de paradigme, s'il suppose de s'adapter et d'intégrer la complexité, peut-être un moteur formidable pour les maîtres qui pourraient y retrouver de quoi réactiver leur double intérêt pour la pédagogie et la didactique des apprentissages mais qui pourraient aussi y trouver des objets forts pour ce fameux travail en équipe qui ne doit pas être vu comme une injonction verticale et extérieure mais bien compris comme la chance de pouvoir mieux résoudre ensemble des questions que nous ne saurions traiter seuls. 

L'enthousiasme ne se décrète pas, mais puisque l'époque est difficile et souvent morose, pourquoi ne pas se mobiliser et oser jouer un rôle actif dans une refondation qui ne saurait se réduire à la production de textes encadrant notre action ?

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